Kénose

Une contemplation-essai écrite par Estienne Rylle dans le cadre du lancement de l’indicible, janvier 2023

Préambule

Extrait de la lettre aux Philipiens, chapitre 2 versets 6 à 11, écrite par Paul de Tarse, présente dans la Bible :

[Le Christ], qui est de condition divine, n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être l’égal de Dieu.
Mais il s’est dépouillé, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes, et, reconnu à son aspect comme un homme,
il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, à la mort sur une croix.
C’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé et lui a conféré le Nom qui est au-dessus de tout nom afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse, dans les cieux, sur la terre et sous la terre
et que toute langue confesse que le Seigneur, c’est Jésus Christ, à la gloire de Dieu le Père.

Kénose, un mouvement de création par le dépouillement

La Kénose est une notion théologique et le texte de la lettre aux Philipiens cité plus haut en est une des source biblique. Le terme Kénose vient du grec kenosis : “se vider, se dépouiller de quelque chose, de soi même”. La Kénose exprime un mouvement d’abaissement, de dépouillement, de renoncement.

Je crois qu’il y a un rapprochement à vivre entre le renoncement du Christ à la toute puissance et le processus de création artistique. La Kénose est un mouvement de création par le dépouillement. Quelque soit nos croyances, c’est une invitation à vivre une nouvelle forme de processus créatif, à chercher l’essence de ce que nous sommes par la création.

Une poétique de la ruine

La kénose est un appel à la déconstruction volontaire, un appel au renoncement à soi-même pour créer librement.
Loin d’un ascétisme visant le contrôle intégral, la Kénose nous invite à un lâcher prise inconditionnel.
Ce chemin est une déconstruction de nos lieux d’élévation et une remise en question de nos rites.
La kénose est une désacralisation de soi.

Les espaces esthétiques que nous hissons pour nous protéger sont comme des cathédrales qui nous permettent d’exister par la sur-expression de nous même.
C’est l’espace d’exposition de nos autoportraits aux allures d’icône.

La Kenose, c’est la déconstruction de nos cathédrales.

C’est reconnaitre nos erreurs, dénouer nos tourments, faire chuter nos murailles, briser nos armures, démolir notre toute puissance.
C’est accepter que notre élévation ne mènent qu’à nous même et que notre auto-suffisance blesse par ses limites saillantes.
C’est détruire notre tour de Babel pour retrouver un langage commun avec l’autre.

La Kénose est un renoncement au sacré.

Poétique de la ruine :
Se courber vers la terre.
Geste de précarité, posture de prière.

La Kénose invite à reconnaitre son manque par un peau à peau avec le monde.
C’est une matière fertile.

Vers la terre, un renoncement vivifiant.

Le dépouillement nous mène vers la terre.
Posture d’humilité.
L’humilité, humus, humain : racine d’un même arbre qui fait tout avec presque rien.
L’humilité c’est la disposition à s’abaisser volontairement par sentiment de sa propre faiblesse.

Humus, en latin la terre.
Humus en français, cette terre provenant de la décomposition de débris dans le sol et qui contribue à sa fertilité.

La déconstruction, la décomposition, l’abandon à la terre est une mort à soi-même qui donne vie. La Kénose est un ensemencement, un renoncement vivifiant.
Nous pouvons sereinement désespérer de nous-même.

Apologie de la faiblesse.
Aventure de la perte de l’avoir.
La kénose est une éthique de la sobriété.
Nous ne possédons rien, ni le ciel, ni la terre.
Face au monde, plus besoin de s’élever, juste être là.
L’éternité comme temps présent.

Nous voilà les mains vides.

Naissance à l’expression, ôde à l’art

Le dépouillement mène au silence, celui de la gestation.
Nos propres forces ne sont plus en jeu.
La non-puissance s’incarne.
Nous allons naitre nus, vulnérables, dépendants.

La Kénose est un retour à l’état d’innocence, une naissance à nous même, un signe d’avenir.
La Kénose est une naissance à l’expression, un indicible réveil.
La Kénose est une résurrection du sensible, une ôde à la création.
La Kénose est un chant primitif, un hymne, un jaillissement.

Le mouvement de création par le dépouillement est intrinsèquement intègre.
Notre parcours créatif est une feuille à blanchir.
N’ayons pas peur du vide.

Ensemble, la Kénose nous invite à nous dépouiller de nous même.
Demeurer les mains vides.
Et chanter à pleine voix.